Le carré d'as
Burton sollicite le studio 20th Century Fox pour financer son film.
Warner veut impérativement lui faire réaliser la suite des aventures de
Batman, et ne manifeste aucun intérêt pour ce scénario basé sur un
dessin d'homme avec des mains-ciseaux qui, sans le vouloir, casse tout
ce qu'il touche. Il choisit la Floride pour mettre en scène ce film
largement autobiographique. C'est également la rencontre entre Burton
et l'acteur Johnny Depp. Tant pour l'un que pour l'autre, l'alchimie
est parfaite. Nouvelle rencontre cinématographique entre le fan et
l'idole, Vincent Price tient le rôle de l'inventeur d'Edward, son
dernier rôle à l'écran. Une interprétation bouleversante selon Burton.
Véritable plaidoyer pour la tolérance, magnifié par l'interprétation
habitée de Johnny Depp et de Winona Ryder, ainsi que la musique de
Danny Elfman, ce quatrième long métrage est salué par l'ensemble de la
critique comme un chef-d'œuvre. Triomphe commercial, il demeure
aujourd'hui encore l'un des sommets de la filmographie de Tim Burton.
En 1992, il accepte de réaliser le deuxième volet des aventures de
Batman. Cette fois-ci, le justicier masqué est confronté à Catwoman et
au Pingouin, joués respectivement par Michelle Pfeiffer et Danny
DeVito. Les dirigeants de Warner se sont mordu les doigts d'avoir
refusé Edward aux mains d'argent ; ils donnent donc une entière liberté
artistique à Burton qui place le tournage à Burbank, sa ville natale.
Encore plus noir et plus torturé que le premier, ce nouvel opus pose
encore une fois problème, car Warner reçoit de nouvelles lettres de
protestations, non pas des fans mais des parents qui jugent le film
trop effrayant pour leurs enfants. Mais le film triomphe au box-office.
En outre, il traduit l'influence du cinéma expressionniste sur Burton,
et plus particulièrement Friedrich Murnau et son Nosferatu. Marque
indiscutable de cette parenté, Christopher Walken incarne un homme
d'affaires véreux appelé Max Shreck, le nom de l'interprète du vampire
dans le film de Murnau.
L'année suivante, une surprise de taille arrive sur les écrans :
L'Étrange Noël de monsieur Jack. Le scénario est basé sur un poème
écrit par Burton à l'époque où il était chez Disney. Il rappelle le
Grinch du Dr Seuss, l'un des poètes favoris du cinéaste. Il s'agit d'un
film d'animation image par image, une technique artisanale pour
laquelle Burton a une grande passion. La mise en scène va nécessiter
trois ans. C'est Henry Selick qui est chargé de la réalisation, mais
Burton l'a surveillé très étroitement. Le film est produit par Disney,
propriétaire du poème. Le contrat que Burton a signé en intégrant le
studio en 1979 comprend une clause spécifiant que toute activité
créatrice d'un membre de Disney est la propriété de la « Police de la
pensée » : en clair, ne serait-ce que pour réaliser un scénario à
partir du poème, il faut négocier avec Disney. Mais le succès de leur
ancien employé rend les dirigeants plus accommodants. Un budget de
dix-huit millions de dollars est débloqué, soit le tiers du budget
habituel d'un film Disney. Pour la troisième fois consécutive, l'action
se déroule à l'époque de Noël. Tim Burton donne libre cours à sa
passion pour la fête d'Halloween. Danny Elfman compose les mélodies,
mais également des chansons qui transforment le poème en une comédie
musicale. Burton et Elfman se disputent souvent car, si les chansons
s'insèrent très bien dans l'histoire et ne la ralentissent pas, elles
nécessitent des aménagements scénaristiques. Cela a pour effet que les
deux amis se fâchent ; une brouille qui durera trois ans.
En 1994, Burton met en scène Ed Wood, récit de la vie farfelue d'Edward
Davis Wood Junior, réalisateur affublé de façon posthume du titre de «
plus mauvais réalisateur de tous les temps ». Il sollicite Johnny Depp
pour incarner un nouvel Edward qui, comme le précédent, entretient de
nombreuses connexions avec son univers et sa vie. Avec cependant une
nuance de taille : Burton est adulé alors que Wood fut dénigré. La
relation entre Lugosi et Wood est un miroir de celle entre Price et
Burton. Le scénario se concentre sur la période « fastueuse » d'Edward
Wood. On le voit mettre en scène, non sans mal, trois films dont le
légendaire Plan 9 from Outer Space. Pour la circonstance, il s'entoure
de nombreux acteurs passés ou méprisés comme Bela Lugosi, la
présentatrice de films d'horreurs Vampira et le lutteur Tor Johnson.
Toute cette troupe vit de nombreuses péripéties dans leur parcours
cinématographique digne d'un film hollywoodien, mais précisément
l'inverse du « rêve américain » cher à Hollywood qui préfère les
histoires à succès. De plus, le film est tourné en noir et blanc. Tous
ces choix expliquent probablement l'échec de l'un des meilleurs films
de Tim Burton qui se surpasse comme rarement. Il retourne certaines
séquences, à l'identique, des films de Wood avec une précision
d'orfèvre. Généreux, il offre deux superbes cadeaux à Ed Wood : la
rencontre avec Orson Welles (qui n'eut jamais lieu), et une première
triomphale pour Plan 9 from Outer Space. Howard Shore compose la
musique en lieu et place d'Elfman. Le film remporte deux Oscars :
Martin Landau décroche l'Oscar du meilleur second rôle pour son
interprétation de Bela Lugosi, et Rick Baker celui du maquillage, mais
le film ne s'inscrit pas au box-office. Tim Burton connaît son premier
échec commercial.